"Oubliez les visages!"

Elle le possédait. Dans la paume de sa main. Une légère pression... et son sang n'irriguerait plus les rouages de sa machine nerveuse. Il se débattrait. Jamais la vie ne lui paraîtrait plus précieuse. Mais son destin, elle le tenait. Il n'y réchapperait pas. Toute cette haine... dans un corps... dans une âme. L'être humain est un animal. A cet instant précis elle était la bête, l’œil injecté de sang prête à achever sa proie, sans culpabilité. Le cœur de son ennemi battait sous ses doigts. Elle dégustait chaque seconde avec un délice prononcé, presque sadique. Son avenir était scellé au sien. Mais elle tenait sa victoire. Même dans la mort. Une goutte de sueur froide glissa sur sa figure crasseuse, esquissant la peur de ce parasite. Elle sourit, la mine effarée mais satisfaite. La faucheuse dansait déjà. Son murmure glissait dans son oreille, suave et malicieux. Elle était belle dans sa danse macabre. Ces pas lui allaient si bien. Elle ferma les yeux. La Mort l’invita dans ses bras. Des frissons parcoururent son échine. Aucune échappatoire à l’horizon. Juste ce goût métallique dans la bouche, cette saveur vieille des temps les plus reculés marquant l’ère humaine. Pourquoi cette attente ? Appuyer sur la détente était si simple. Lui arracher les tripes, le voir souffrire, hurler, supplier, voire cette mort sur sa figure encrassée de terreur la tenaillaient depuis son enfance. Cette scène elle l’avait imaginé, prémédité jusqu’au moindre détail. Elle en avait eu le temps. Et maintenant le temps n’avait plus d’importance. Ni même l’existence. Une larme roula sur sa joue, diamant d’hésitation. Son étreinte se resserra sur la gorge de sa victime. Il suffoqua.
« Juste une chance… ». Premier écho . Premier aveu. Le cœur battait plus fort. Elle ricana. Son tour était arrivé. Son visage blême, bleu signa le premier cri de sa perte.


Elle n’était pas une assassin. Elle était un Homme. Et elle portait sa vengeance.


Le flingue collé contre sa tempe, elle lui susurra à l’oreille: Il est temps de payer mon ange. L’ombre du doute la laissait indifférente. Elle n’avait plus peur. Tu n’es plus une petite fille. « Oui Marraine je ne suis plus une gamine. Je suis une femme qui va tuer et mourir pour vivre enfin. » Quel paradoxe. Elle imagina la suite de son crime. Deux corps allaient être retrouvés. Cet instant serait une énigme jusqu’à la fin des temps humains. Et après… elle ne vivrait pas la suite des évènements. Le repos éternel l’attendait. Un repos mérité dans l’inertie et l’ignorance des sensations. Ni haine, ni amour. Juste le vide et le néant. Le plus beau sommeil du monde. Aucun canon pour la réveiller. Aucun cri. Pas un murmure de détresse. Juste le temps qui passe et qui nous décompose. L’oubli…

« Tu ne comprends rien !!! ». Ce corps hurla à nouveau violant son silence. Il bougeait. Il se débattait. Elle le tenais fermement. Ses muscles ne céderaient pas. Pas encore. Il ne sèmerait pas le trouble dans son esprit. Tout était étudié, réfléchi. Elle n’abandonnerait pas. Son attente trop longue n’avait qu’attisé sa haine durant toutes ces années. Les images envahissaient le marécage de ses pensées. Elle les arrêta à la frontière de la raison. Elle refusait d’y réfléchir pour ne pas flancher. Sa faiblesse lui ferait perdre le jeu. Elle ne pouvait le tolérer. Elle resterai le maître pour cette partie. Clic. Elle appuierai sur la détente. Et tout serait fini. Une seconde pour changer l’avenir. Juste une seconde.

« Attend !! ». Il supplia à nouveau. Des mots s’échappèrent, tourbillon de crainte . Elle les voyait passer sans les entendre. Ivre de rage, elle ne ressentait plus que les battements de son cœur. Boum Boum ! Boum Boum !

« Une dernière volonté !! ». Il ne la méritait pas. « Mon dos !!! ». Son dos ? Elle ne comprit pas. Ses mains agrippèrent fortement la gorge de son ennemi. La Faucheuse rit. Elle souleva la chemise déchirée, découvrant le dos du futur cadavre…

Non ! Non ! Elle le frappa de toutes ses forces en hurlant. « Ce n’est pas possible ! Non ! ». Elle l’éjecta contre le mur de briques rouges, désemparée, anéantie. S’effondrant sur le sol, ses poings heurtèrent le béton humide… jusqu’à ce que son corps céda… elle ferma les yeux…

...elle ferma les yeux, étourdie, lasse. Gisant aux pieds du mur, l’homme gémissait, étonné de la force qu’avait dévoilé ce petit bout de femme, minuscule, frêle, incompétente. Ses membres le trahissaient et peinaient à le soulever. Il jeta un coup d’oeil à sa cible. Elle étouffait ses sanglots dans ses mains ensanglantées. Sa mission était simple. Aucune faute possible. Un jeu d’enfant qu’il avait eu du mal à accepter. Tuer une gamine dans un corps de femme souillait ses compétences de professionnel. Un jeunot aurait pu largement s’occuper de l’affaire et éliminer la gêne. Il avait eu tort. Cette petite garce montrait des talents insoupçonnés à l’art du combat, de la piste, de la discrétion. Ses muscles de bébé portaient la capacité de tuer d’un geste. Mais chez ces êtres doués, insensibles en apparence existait des failles. Des failles mortelles. Il jubilait. En se déguisant comme un des siens par sa cicatrice il avait amené la balle dans son camp. Il savourait d’avance sa victoire. Lui ôter le souffle de haine qui animait sa carcasse épuisée excitait ses papilles.

Il se leva, l’œil injecté de sang, salivant sur sa proie. Il dégaina le couteau de sa botte et s’approcha lentement sans éveiller l’attention de la jeune femme, tétanisée par la vue de ses marques. Malgré la pâleur de son visage, et le mal qu’elle lui avait donné il devait avoué qu’elle était belle. Les beautés sombres et persécutées l’envoûtaient toujours. Peut être qu’il profiterait des restes de son corps à moitié mort. Ses cheveux sombres, courts, humides emprisonnaient son visage cachant l’ombre des ses yeux et la douleur des ses maux. Ses lèvres prises de douces convulsions lâchait des sifflements presque inaudibles. Je vais mettre fin à tes douleurs mon trésor… Il emprunta la même voix suave d’enfant capricieux, impatient d’ouvrir son cadeau.

Il ne soupçonnait pas le regard embué de la jeune femme sur lui jusqu’au moment ou elle détourna légèrement le visage, le scrutant avec un intérêt particulier. Il s’immobilisa stupéfait. Cette saleté pouvait encore l’attaquer. La vivacité de ses yeux éveillait sa méfiance. Elle observait son arme. Elle se leva à son tour, lentement, avec des gestes démesurés. Il la frappa, fouettant son joli minois de persécutée de la vie et s’élança sur elle, la plaquant à terre. Il constata son visage ensanglanté mais ne trouva aucune peur dans la crispation de ses traits. Déboussolé, il chargea son arme sur sa george. La main de la jeune femme la stoppa, au dernier moment, un sourire satisfait aux coin des lèvres.

« Crétin siffla-t-elle entre ses dents.
Le poing de l’homme alla s’abattre sur sa joues rose, encore épargnée.
- Tu crois comprendre mais tu ne comprends rien étouffa-t-elle
- Regarde toi, tu vas mourir. Alors ferme ta gueule mon ange !
La jeune femme ricana, et abaissa sa main qui retenait le poignard.
- Vas y tues moi. Mais quand la lame lacéra ma gorge, que je me viderai de mon sang, tu mourras avec moi.

Il la toisa un instant, jaugeant la vérité de ses propos.

- Tu n’es qu’un pion. Tu crois mener mais tu n’es rien. Rien du tout ! ricana-t-elle.
- Je ne fais pas parti des tiens murmura-t-il, le malaise au bord du cœur.
- On ne choisit pas...