Voilà j'ai écrit un petit texte. Enfin petit
Je le trouve vraiment bizarre. Alors si vous pouviez me dire votre avis. Merci.
L’empire des anges.
Comme il le fut ainsi au commencement,
Comme il le sera toujours, pour les siècles des siècles
…
Dieu sépara les eaux de la terre, la lumière de la ténèbre et la musique du silence.
L’éléphant barrit,
Le hibou hulule,
Le canari chante,
Le chien aboie,
Le cheval hennit,
Le chat miaule,
Le lion rugit,
La hyène rit,
Le vent hurle,
Le bois crisse,
Les feuilles bruissent,
La rivière murmure.
L’homme crie, hurle, chante et parle.
Et Dieu se tait, Il l’écoute ;
Le chant de la terre, le chant de la mer, le chant du ciel.
Comme il le fut au commencement …Extrait du manuscrit de De la musique, auteur anonyme, conservé à l’abbaye de Thémène.Je suis tombé par hasard sur ce manuscrit alors que j’effectuai quelques petites études anodines à Thémène. A l’origine je m’étais rendu dans cette abbaye afin de poursuivre mes recherches concernant l’histoire du royaume. Depuis le début je m’étais axé à partir du point de vue du roi. Mais au fur et à mesure que j’avançais dans mes chroniques je m’étais rendu compte des lacunes que proposait ce point de vue. Et il me fallait à tout prix les combler. La bibliothèque de Thémène proposait un large choix de manuscrits anciens et récents ; antérieurs même au règne de notre premier roi feu Louis 1er.
Dans un premier temps je m’étais évertué à récolter des témoignages sur ce qui fut notre Grande Guerre. Ce fut un tragique événement que cette guerre pour notre nation. Elle éclata sans crier gare alors que le jeune Louis XI n’était encore qu’un enfant. Les traces qui nous en restent sont pauvres et peu satisfaisantes. Le climat d’alors pouvait être comparé au ciel gris et lourd d’un temps orageux prêt à éclater. Des éclairs zébraient le ciel, tout comme les meurtres qui ponctuaient la vie de cour.
Notre Grande Guerre avait tout des caractéristiques d’une guerre civile, à ceci près que celle-ci s’effectuait dans l’ombre, à l’abri du courroux de régent du royaume, le Chevalier Magarde. Certains continueront à dire qu’il était dans son bon droit de diriger le pays en attendant que le prince héritier atteigne sa majorité. D’autres restent persuadés – et ils n’ont pas tort - que son seul objectif, à lui frère du roi défunt, était de s’emparer de la couronne. A la mort du roi, le jeune prince fut écarté du pouvoir de manière bien subtile.
Il était de notoriété publique que le roi n’était pas mort de sa belle mort, mais bien assassiné, d’un complot qui, jugeait-on, avait été commandité par un groupe anarchiste combattant les fondements de la monarchie. Les documents déclarent que ce mouvement comprenait en ses rangs les plus célèbres seigneurs, tels les messires Londevin, Merignan et Galanthème, avec sous leurs ordres des serviteurs éparpillés dans tout le royaume. Ces derniers avaient la charge de rallier le petit peuple à leur bonne cause et d’ainsi créer une jolie petit révolution à l’encontre du pouvoir autoritaire. La rixe avait bel et bien éclaté, mais le résultat fut désastreux. Un mort, un seul, le roi. Les responsables de l’assassinat furent arrêtés, jugés et pendus haut et court sur la place publique de notre capitale. Les trois plus célèbres seigneurs, connus pour leur fidélité à la couronne, furent exécutés sans sommation. Par la suite on entendit plus parler du mouvement ; il se disloqua à travers tout le pays. De la même manière qu’il était apparu.
Alors le Chevalier Magarde se proclama régent du royaume et prétextant une protection rapprochée, pour la sécurité de la reine et du prince, les éloigna du pouvoir, loin des intrigues meurtrières de la capitale, en un lieu connu de lui seul. Désormais le peuple lui devait obéissance, jusqu’à ce que le prince soit prêt à monter sur le trône ; et jusqu’à ce qu’il ait réussi à arrêter tous les membres du mouvement qui étaient à l’origine de cette rixe. Les nobles acceptèrent cette décision qu’ils jugèrent suffisamment sage pour lui donner les pleins pouvoir. Il était compréhensible d’écarter pour un temps la famille royale du pouvoir, après ce tragique évènement, tout autant le fait que le régent veuille venger son frère. Le Chevalier Magarde devint ainsi roi de fait.
A partir de là s’arrêtent les sources sûres.
Comme documents officiels, nous ne possédons pour cette période que des listes complètes de victimes accusées de tentatives de meurtres, de trahison envers la couronne. Ces listes sont innombrables. Et dans la plupart, les noms qui s’y affichent nous restent inconnus. Toutefois, quelques-uns uns attirent l’attention, pour la simple et bonne raison que ces noms sont ceux de héros mythiques inscrits dans les épopées.
Les textes épiques abondent dans nos bibliothèques. Il y en a toujours eu, de ces histoires merveilleuses, de ces contes, de ces légendes, aux héros et exploits extraordinaires. Elles sont le dépositaire de la mémoire collective, des croyances, des espoirs du peuple. Les noms sont inscrits dans les consciences. On ne les oublie pas, ils sont éternels.
J’ai fait le tour des bibliothèques spécialistes en contes et légendes. J’ai pu retrouver toutes les épopées dont les noms apparaissaient dans les listes. Aucune ne datait de la même période, toutes antérieures ou postérieures au règne du Chevalier Magarde. A croire qu’on les ait fait disparaître pour une quelconque raison obscure. Jusqu’à ce que mes pas m’amènent en cette abbaye recluse, retirée loin dans les montagnes, à l’abri du bruit de la foule et du mouvement du monde. Thémène. Et c’est encore en cherchant des épopées que je suis tombé sur ce manuscrit singulier, appartenant pour mon plus grand bonheur à la même époque que mes listes. Un manuscrit mince et étroit, minuscule comparé à la vérité qu’il cache à l’abri de ses pages. Un traité de musique. Du moins en apparence.
La vérité a toujours été dure à entendre même après des siècles. Comme le dit si bien ces quelques lignes : « Comme il le fut ainsi au commencement, Comme il le sera toujours, pour les siècles des siècles. » Mais cette vérité cachée je ne la comprends pas. Elle m’échappe.
Je suis confronté à des noms fantômes qui apparaissent subitement, à des héros qui auraient participé à un assassinat, à un mouvement anarchiste. Et qui semble-t-il n’auraient été que des ménestrels. Je me demande qui ment, qui dit la vérité. Les légendes ? Les données administratives ? Les traités ? Qui ?
Un vieil ermite m’avait dit un jour : « Ecoute la voix des âmes car elles reflètent la Vérité. Elles chantent les actions du monde, celles de Dieu qui créa l’univers. Le monde vit, et il parle, habité par un souffle impérieux, celui des anges. »
Le monde parle. Les âmes, les anges. Des entités éternels. Comme ces noms, comme ces héros. Ecouter la voix des âmes, écouter les légendes.
Dans ce traité, il existe un passage consacré à une chanson courte, écrite par un musicien anonyme.
Au commencement, les anges peuplaient la terre,
crée par Dieu en son infinie bonté.
Au commencement il eut des rires,
de la joie, de la danse, des chants.
Et la musique battait à tire d’ailes
au son des trompettes célestes.
Et puis il eut l’Homme. O pauvre mortel
qui dès le commencement introduisit
la fin au sein de cette douce symphonie.
Nulle reprise ne fut faite,
car le mal s’inscrit à jamais dans les âmes.
Les cieux se déchirèrent enfin, annonçant
le commencement de l’ère humaine,
le commencement de la faim.
La rage prit place à la mélodie.
Le son de la lyre s’éteignit
naquit le cri du Damné.
La pourriture prit place à la mélodie.
Le son de la flûte s’éteignit
naquit la pestilence du Damné.
Le grincement prit place à la mélodie.
Le son de la cithare s’éteignit
naquit la colère du Damné.
La morsure prit place à la mélodie.
Le son des timbales s’éteignit
naquit le souffle du Damné.
Le fléau peupla cette terre,
cœur qui bat.
A feu et à sang, les ailes périrent.
Le chaos.
Le péché naquit de sa bouche même,
L’Homme parla
L’Ange cessa.
Voix innocentes qui moururent sous son joug.
A jamais et pour les siècles des siècles …
Ainsi sombra l’Empire des anges. Les Quatre Musiciens en perdition, extrait de la chanson d’un manuscrit, traité de De la musique, conservé à l’abbaye de Thémène. Les légendes ont beaucoup à nous apporter, nous les hommes. Ce sont des histoires certes, mais des histoires écrites pour mettre à jour ce qui ne peut être dit. Elles occultent un temps la vérité pour pouvoir la faire circuler plus librement, à l’abri du mensonge, attendant de pouvoir la révéler beaucoup plus tard, en lieu sûr, dans sa nudité crue. Les contes, les épopées possèdent ce pouvoir de préserver le non-dit d’un temps reculé, afin qu’il ne s’oublie pas, et permettre qu’un autre temps puisse savoir à son tour.
Et c’est mon tour.
Je comprends à présent.
Aucun mouvement anarchiste n’a jamais existé du temps du roi Louis X et de son fils. Il n’était qu’un subterfuge pour écarter du roi ses plus fidèles serviteurs. Il est facile pour quiconque de tirer du néant des noms ayant soi-disant appartenus à un groupe rebelle, de dresser une liste d’accusations et de les faire disparaître en toute légalité et au nom du roi. Le seul commanditaire de ce complot était le régent lui-même, qui dans les fissures du pouvoir avait su se faufiler jusqu’à la couronne. Celui que l’on croyait être un libérateur, n’était en fait qu’un usurpateur qui instaura un pouvoir autocratique, plus autoritaire que jamais auparavant.
Des camps de travail furent construits pour les parias, les bannis, ceux qui avaient contesté sa nouvelle politique. Cette dernière était simple à comprendre. Je peux aisément la résumer en quelques lignes : effectuer une épuration à la cour, dans la capitale et même à travers tout le pays. Une épuration qui consistait à faire place nette, nettoyer toute une vermine qui risquait à tout moment de corrompre une nation déjà affaiblie par son réseau de groupes clandestins.
Le pouvoir occulta à escient les activités de la famille royale. Nul ne mentionne les milliers de victimes, exécutées ou ayant seulement péri dans les camps. Nul n’y fait mention sauf quelques ménestrels. Et c’est maintenant que ces noms de héros prennent tous leurs sens.
Car qui mieux que les artistes sont capables de faire éclater au grand jour la vérité ? Chevalier Magarde savait, il avait conscience que s’il voulait maîtriser le peuple, il devait contrôler les consciences. Et contrôler les consciences, c’est contrôler les écrivains, les chanteurs, les peintres, qui chaque jour, et de leurs propres mains, proposent au peuple un imaginaire qui si fantasque soit-il se rapproche durement de la réalité en l’expliquant. C’est ainsi que le régent mit en place une censure, interdisant toute création littéraire, picturale et même musicale en dehors de son approbation. Nombreux furent les traités théoriques écrits à cette époque. Ceux-ci abordaient les domaines les plus variés. Mais très peu furent les véritables créations artistiques. La plupart furent brûlées, noyées dans la toute puissance d’un être perverti par le pouvoir.
Il les supprima tous, cette vermine, homme ou objets. Il ne faisait pas de différences.
La Grande Guerre ne commença que dès cet instant.
Le peuple se souleva, du moins le peuple des ménestrels, des poètes, des peintres. Ils allèrent outre de la censure imposée par le régent, et glissèrent dans cette myriade de traités inintéressants des petits indices qui à première vue paraissent innocents mais qui en y réfléchissant contiennent ce que justement on a cherché à cacher : le mal, la mort, la dégénérescence du genre humain, sa haine envers ses semblables, envers son intelligence et sa soif de créer.
L’ « Empire des anges » n’est rien d’autre que ce sanctuaire où se rencontrent les esprits passionnés, désireux de faire partager au monde ce qui les habite. Cela pouvait être dangereux pour l’usurpateur, ça l’était probablement. Alors il les fit tous disparaître. Tous sans exceptions. « Les ailes périrent », les artistes furent soit exécutés ou envoyés dans les camps de travaux forcés. La sentence pour tous : tentative de corruption des esprits et trahison envers le pacificateur, Chevalier Magarde. Le chaos correspondait à cette montagne de meurtre qui s’amoncelait au pied d’un être sans pitié.
Oui à présent je comprends. Et la Vérité me fait mal. A savoir que cette guerre civile qui marqua tant notre nation, était le combat des poètes tentant de préserver notre liberté de conscience.
Ont-ils réussi ? Oui. Ces légendes glissées dans des traités inoffensifs ont pu faire éclater au grand jour la vérité. Et alors que le pays sombrait dans une immobilité noire, interdite de toute expression, des hommes, des guerriers cette fois, ont su monter le peuple contre le régent, lui faisant entendre raison. Ces Quatre Musiciens, tels sont les noms que l’humanité a retenu d’eux, se sont sacrifiés pour une cause qu’il croyait juste – la liberté, la vérité. Et morts sur nos places publiques ils ont amorcé le mouvement, qui devint très vite irréversible.
Le régent fut jugé et voué à la peine suprême. Et par on ne sait quel miracle, le jeune prince Louis XI survécut à cette mise à feu et à sang qui dura de très longues années. Certains disent qu’il participa aux combats . D’autres qu’il était lui-même un des Quatre Musiciens. Qui le saurait ? Les légendes parlent mais ne disent pas tout. Pour les plus grandes actions, souvent elles font silence, par respect.
Quelqu’un, le roi sûrement, plaça sur les listes administratives, ces noms de héros appartenant aux temps anciens. Pour continuer à chanter peut-être ce que les légendes de son temps continuent à taire, par respect, par reconnaissance envers ceux qui ont cru au pouvoir de la musique.
L’Empire des anges.